J’ai lu votre correspondance parue dans le journal Le Calame en date du mardi 23 décembre 08 en réaction à celle du Président de la République Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.
Mon propos n’est pas de m’interposer entre Feyty et la Police, la sagesse soninké m’ayant appris à ne pas mettre mon doigt entre l’arbre et son écorce. Tout juste vais-je réagir sur le fond et au sujet de ce que je pense de bonne foi être l’intérêt de l’Etat. Sans vouloir heurter votre sensibilité, j’avoue que j’ai été troublé par certains passages de votre correspondance que je me serais abstenu bien volontiers d’écrire si j’étais vous (Allah Seul sait ce qu’Il fait ; Lui Seul sait pourquoi vous êtes vous et je suis moi comme Lui Seul sait pourquoi le lion rugit et le chat miaule). Vous vous dites soucieux de l’encrage du pays dans la sphère de la démocratie et je n’ai pas de raison de ne pas vous croire. Vous êtes donc peut-être sincère. Mais permettez-moi de n’en point juger que sur pièce. Vous reprenez dans votre sortie ce que beaucoup de concitoyens subodoraient et que le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a lui-même reconnu : certains officiers supérieurs du haut commandement militaire avaient apporté leur soutien au candidat comme d’autres avaient jeté leur dévolu sur un autre candidat majeur (qui n’a jamais eu de cesse de chercher jusqu’à ce jour le parrainage des militaires). Le fait que des militaires aient choisi de s’immiscer dans le jeu politique est inquiétant mais aurait pu se limiter à cela s’il ne leur était venue l’idée de vouloir tout contrôler et piloter de leur état-major en demandant aux politiques de se mettre au rapport. Leur soutien à un candidat est de mon point de vue anodin. Sauf à nous dire, Monsieur le sénateur, que les militaires ne se sont pas contentés de « faire du lobbying » par votre entremise mais qu’ils sont allés plus loin en mettant à contribution leur position et leurs avantages pour modifier le sens du scrutin. Tant que l’électeur mauritanien aura le pouvoir en son âme et conscience de voter pour le candidat de son choix dans le secret de son isoloir, peu importera que les militaires, les marabouts, les chefs de tribus, le syndicat des porteurs de flingue, le club des fatigués de naissance, l’association des porteurs de valise ou tout autre groupe du même acabit appelle à voter pour un candidat ou pour un autre. Ce que vous révélez, Monsieur le sénateur, c’est que vous vous êtes fait le porteur de la valise des Généraux dans laquelle se trouvait Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi. Que Feyty et la police se connaissent n’a donc pas de signification singulière. Nous observons juste que malgré la réputation de Feyty, la police ne s’est pas fait prier pour mettre en branle positions, avantages, moyens à l’origine inconnue pour s’attirer les faveurs de la jolie jeune fille. Mais comme on dit en soninké, an gana an ma xase nwari an tini an paaba da i naburu sedi ya (Celui qui n’a vu sa maman qu’à un âge avancé peut penser que son père a dilapidé sa fortune pour pas grand-chose : en un mot c’est brûler ce qu’on adorait naguère). Vous laissez entendre (sur le ton de « moi j’ai comploté mais je ne suis pas le seul », en wolof lekko si ndap kheupeu si souf nguir khagn kenene : cracher dans la soupe.) que vous vous êtes mis d’accord avec le candidat Sidi qui vous aurait trahi. Si le candidat Sidi ould Cheikh Abdallahi et vous même vous êtes entendus sur le dos du peuple cela ne grandit pas la démocratie et à votre place je me serais abstenu de m’en vanter (mais encore une fois je ne suis que moi). On reconnaitra à Sidi, si vous dites vrai, le mérite d’avoir voulu s’affranchir de certaines pesanteurs pour remplir le mandat que lui a confié in fine le peuple mauritanien. Vous ajoutez que Sidi a donc bénéficié du soutien des généraux, devenus populaires pour avoir fait partir Ould Taya et ce, au détriment du candidat le mieux assis. Mais si les généraux sont aussi populaires et aussi surs de leur fait pourquoi mettre en péril l’avenir de tout un pays et compromettre son développement juste parce qu’ils ont été limogés par un Président, tout pantin qu’il soit, qui jouit de la prérogative de nommer et de limoger les chefs de l’armée, exactement comme quand il limogeait Ould Boubacar et d’autres colonels ou quand il élevait au rang de généraux ses tombeurs (à moins que vous ne m’expliquiez qu’il est légitime quand il les nomme généraux mais plus quand il les limoge)? S’ils sont donc si populaires (mais ne l’oublions pas, Ould Taya était aussi « très populaire » jusqu’au matin même du jour où les mêmes qui l’encensaient au petit déjeuner ont marché et fait klaxonner leurs véhicules au déjeuner pour exprimer leur joie à l’annonce de son renversement) pourquoi ne pouvaient-ils se libérer de l’armée et surfer sur la vague de « leur très grande popularité » pour se faire élire Président comme dans toute démocratie qui se respecte ou dans toute République digne de ce nom ? Leurs positions à eux valaient-elles la mise en péril de l’option démocratique de notre pays et la mise entre parenthèses de notre Constitution ? Pourquoi quand Abdoulaye WADE, Oumarou YARADOUA du Nigeria, TOURE du Mali réaménagent la haute hiérarchie militaire il n’y pas de coup d’Etat ? Vous et moi ne sommes assurément pas de la même génération et ne sommes sans doute pas de la même école même si je partage avec vous la référence à Montesquieu (qui, soit dit en passant est plus reconnu pour son interprétation de l’esprit des lois que pour l’idée de contrat dans l’Etat que théorisent mieux Hobbes, Smith, Mill, Tocqueville ou Rousseau). Le Démocrate sincère et le Républicain convaincu qui sommeillent en moi ne m’autorisent pas à être porteur de valises ou de flingues, surtout quand il s’agit d’affaiblir des institutions qui doivent rester sacrées.
Dans un article paru au plus fort de la tempête (http://souslatente.blogspot.com/2008/08/sidi-et-les-quarantequand-naissent-le.html) je vous avais invité, pour montrer la cohérence de votre raisonnement, à vous démarquer des symboles de la gabegie qui écument les rangs de ceux qui reprochaient au Président Sidi de recycler les pontes de la dictature de ould Taya. Vous et moi savons que vous n’avez pas besoin de chercher très loin très longtemps pour en dresser une liste étoffée et respectable. Dans cet article, je vous reconnaissais beaucoup de mérite (ce qui m’a valu une volée de bois vert injustifiée de mon point de vue) même si je ne vous ai jamais vu, seulement sur la base de ce que vous disiez et écriviez ou de ce que j’entendais dire de vous. C’est pourquoi, si vous avez vraiment « créé » (Soubhanallah) SOCA, vous auriez du montrer que vous l’aviez fait dans l’intérêt de la démocratie en Mauritanie et non pour en retirer quelque gloire ou avantage quelconque. Ce qui vous a probablement révulsé c’est d’avoir vu Sidi se prendre vraiment pour le Président (qu’il était et demeure). C’est un sentiment répandu chez l’humain. Combien de pères pensent avoir droit de vie et de mort sur leur progéniture, au point de penser sincèrement devoir leur imposer femme, carrière…y compris contre leur volonté et de ne point accepter de les voir grandir et s’émanciper ?
Vous poursuivez par ailleurs le procès d’intentions en remettant en cause la part de la conjoncture internationale dans l’aggravation de la situation des mauritaniens et en faisant du Président Sidi un poisseux qui serait responsable des inondations comme des attaques terroristes et du vent de sable qui souffle sur Nouakchott ou du moustique qui a piqué Valha à La’youne. A vrai dire je ne lui connaissais pas autant de pouvoirs mais je sais qu’il vous faudra beaucoup de patience pour convaincre les mauritaniens que le Président Ould Cheikh Abdallahi est responsable de la montée du prix du baril à 150$ ou encore de l’explosion des prix des céréales, phénomènes qui ont tenu en haleine le monde entier il y a seulement quelques mois. Il vous sera tout aussi difficile de trouver une âme généreuse qui puisse croire que c’est grâce aux généraux que le même baril est aujourd’hui à moins de 45$ (il faut donc que les militaires fassent trois fois moins cher que quand le baril était trois fois plus cher) ou encore que l’attaque de Tourine est de la faute d’un Sidi aux arrêts et remplacé par son chef d’état-major particulier (c’est cela même la définition de l’anachronisme). Cher Sénateur, faire preuve de prudence aide à se mettre à l’abri de certaines déconvenues. Par exemple si vous avancez que Sidi porte la poisse pour avoir « laissé » tuer des touristes français, vous accordez le droit de dire que ceux qui sont aux commandes aujourd’hui par la volonté de…leurs baïonnettes, sont tout aussi poisseux pour avoir laissé faire Tourine. Leur responsabilité est plus facile à établir dans la pénurie de gaz, dans la dépréciation de l’Ouguiya ou encore dans les très difficiles épreuves auxquelles les mauritaniens vont être bientôt confrontés si nous ne faisions preuve de responsabilité et de sens du civisme et de l’Etat pour éviter l’isolement diplomatique et économique vers lequel nous marchons à pas de géant.
Vous dites enfin que tous les succès économiques enregistrés sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi ne sont que le fruit de ce qui a été semé sous la transition cmjdienne (je ne désespère pas de vous voir lui reconnaitre un jour quelques mérites malgré tout ce qu’on peut lui reprocher). Faudrait-il ajouter qu’on doit aussi mettre à leur (CMJD) actif (passif), le trou de 30 milliards d’ouguiyas enregistré à la fin de la transition ?
Quant à l’indépendance des médias je vous sais objectif au point de reconnaitre que l’Agence Mauritanienne d’Information, la Radio et la Télévision publiques pendant l’expérience que les militaires viennent d’interrompre brutalement n’ont rien à voir avec les voix de Moscou et autres Pravda qui débitent à longueur d’émissions les vérités officielles et les motions de soutien à la gloire du Général, notre étoile polaire, nos quatre points cardinaux dont dépendent notre vie, notre présent, notre néant et notre être. Vous feriez un immense présent aux Mauritaniens et à votre cause en mettant un terme à ce spectacle infamant et infantilisant digne d’un autre Général, le très fantasque et ubuesque Idi Amin Dadda. La comparaison, je le concède, serait très peu flatteuse.
Et maintenant…
Monsieur le Sénateur,
La faille est aujourd’hui béante. Le peuple est profondément divisé et il faudra s’atteler à recoller les morceaux sans tarder. Mais cette crise a révélé une race de mauritaniens disposés à mettre la Mauritanie, sa Démocratie, ses Institutions, ses Intérêts au dessus de tout le reste. Ce serait erreur fondamentale que de croire qu’ils courent pour réhabiliter un homme ou l’aider à faire carrière. Nombre de ceux qui comme moi se dressent contre ce coup d’Etat n’ont pas soutenu Sidi et ne se soucient pas de son destin. Ce qu’ils poursuivent c’est l’idéal républicain, une croyance profondément ancrée dans la conviction que sans le respect du contrat social il n’est point de salut (vous pouvez penser : « rêve toujours ! »). Les défis qui se dressent sur notre chemin sont immenses et le chantier n’est même pas lancé. Les mauritaniens les moins avertis se réjouissent de la baisse du prix de certains produits. Les autres font observer que cette rémission n’est que le signe d’une accalmie qui annonce de graves crises. Le pays important quasiment tout ce qu’il consomme, nous restons dépendants de l’étranger et de nos réserves de devises. Est-il responsable d’« accepter que le mensonge même mélodieusement construit voile la réalité » et de laisser croire que le pays se suffirait à lui-même et survivrait à l’isolement ? Ce qui a laissé exsangues Cuba, l’Irak et le Zimbabwé épargnerait miraculeusement la Mauritanie ? Et puis quoi encore ? Si vous êtes les patriotes que vous prétendez être, je ne puis me résoudre à admettre que vous laisseriez conduire le pays si joyeusement au suicide collectif.
Quant à l’idée de réforme constitutionnelle que vous évoquez, il y a lieu d’en discuter une fois le pays revenu à une situation constitutionnelle normale. Il nous faudra alors nous interroger sur la pertinence de maintenir le principe d’un parlement bicaméral ou plus explicitement s’il n’y a pas lieu de supprimer le Sénat (n’y voyez monsieur le Sénateur aucune attaque personnelle, je ne sais pas jouer à ça, même avec une pointe d’humour) et de le remplacer par une institution regroupant les collectivités territoriales pour jouer la carte de la démocratie de proximité et impliquer directement les élus locaux pour une plus grande représentativité (Un Haut Conseil par exemple). Il faudra aussi s’interroger sur l’opportunité d’inverser le calendrier électoral pour le rendre plus conforme à l’esprit de notre système présidentiel par essence : le Président de la République doit être élu avant les députés et non l’inverse, sauf à vouloir accorder la prééminence au parlement plutôt qu’à l’exécutif et ce serait-là un changement radical qui nous ramènerait dans une configuration type quatrième république française. Il faudra bien sûr rééquilibrer les pouvoirs entre les différentes institutions et, éventuellement, supprimer le poste de Premier Ministre. Il faudra par ailleurs revoir la disposition permettant au Président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale en lui donnant à la place le pouvoir d’opposer son véto à certaines décisions dans un cadre bien réglementé (cf. Constitution des USA). Il faudra surtout mettre fin à la honteuse transhumance des élus en retirant son mandat à tout élu qui quitterait le parti auquel il appartenait quand il obtenait ledit mandat. Quand j’ai fait cette proposition il y a quelques années certains responsables politiques et des « experts » de chez nous m’ont fait savoir que cette disposition était inopérante. J’ai découvert récemment que l’Afrique du Sud et (il me semble) le Sénégal ont des mécanismes qui en sont proches. Comment enfin occulter l’indispensable débat sur la place de l’Armée dans notre pays ? Pourquoi souffrir plus longtemps l’étouffante étreinte d’un si encombrant Léviathan ? Au regard de la situation politique dans notre pays, il n’est plus possible de reporter le problème et de faire comme si les choses s’arrangeraient d’elles mêmes. Il faudra que l’Armée se concentre sur sa mission de gardienne de l’intégrité de notre territoire dont les frontières sont ouvertes aux quatre vents : l’Internationale Jihadiste, la narcocriminalité, la contrebande de cigarettes, la migration non contrôlée. Je reprends ici une proposition que j’avais faite dans un article précédent (http://souslatente.blogspot.com/2008/07/allende-et-pinochetgorbatchev-et.html) et qui est à mon sens un bon compromis : conduire les chefs de notre Armée à s’inspirer de la Doctrine Schneider, du nom de ce Général Chilien qui avait fait une directive définissant la mission qui devait être celle de l’Armée chilienne dans le schéma démocratique : s’abstenir de s’immiscer dans le jeu politique pour entre autre dénaturer la volonté exprimée par le peuple au travers d’une élection libre et transparente mais se réserver le droit de ne point laisser les politiques fausser le jeu démocratique pour accéder ou se maintenir au pouvoir. Cet officier qui savait ce que signifiait « donner sa parole d’officier » considérait que renverser le choix du peuple pouvait être assimilé à un crime de haute trahison. C’est une mission noble et tout à fait à la portée de notre Armée si elle ne peut s’abstenir de se mêler de politique (vous pouvez dire : « cause toujours ! »).
Pour finir, je ne peux résister à la tentation d’évoquer deux événements de l’histoire contemporaine. D’abord les Etats-Unis d’Amérique. Le destin a voulu que le candidat Al Gore, en sa qualité de vice président sortant donc président du Sénat Américain, présidât la cérémonie qui devait proclamer les résultats de l’élection contestée qui l’avait opposé au candidat Georges W. BUSH. Certains des partisans du candidat démocrate crurent bon d’introduire des requêtes pour contester les résultats de l’élection en Floride. Ils durent faire face à l’intransigeance du Président de séance Al Gore himself, qui ne voulait absolument pas que les institutions fussent affaiblies ou que le citoyen commençât à douter de la transparence du système démocratique, même si cette position devait lui couter la Présidence de la première puissance mondiale.
Ensuite la France. Quand le Général De Gaule voulut amender la constitution pour faire élire le Président de la République au suffrage universel direct, son vieil ami et compagnon de route, le président MONERVILLE y perçut de bonne foi une dérive autocratique et un danger réel pour l’équilibre des institutions. Mais il ne mit pas en péril le fondement de l’Etat et dut se résoudre à se retirer pour que l’essentiel restât sauf. Ce fut aussi le cas de Jacques Chaban Delmas quand, à la faveur du changement de majorité intervenu en 1986 (première cohabitation sous la cinquième République), le Président Mitterrand voulut se livrer à des manœuvres dilatoires en lui proposant d’envisager l’hypothèse de sa désignation au poste de premier ministre. Chaban dut renoncer pour ne pas donner une image peu flatteuse de la démocratie française. Je ne connais d’utilité pratique à l’histoire que de servir de référence. Monsieur le Sénateur, comme vous le voyez, les grands événements révèlent les grands hommes qui savent identifier l’essentiel pour le faire passer avant tout le reste. C’est tout à fait à votre portée. Tout règlement de cette crise en dehors du cadre fixé par la Constitution souverainement votée par les électeurs mauritaniens révélera les graves lacunes de l’élite et de la classe politique mauritaniennes.
Cordiales salutations
Abdoulaye DIAGANA
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