mercredi 8 octobre 2008

Ils ont échoué

Il fallait sans doute un brin de naïveté, un zeste d’insouciance, un soupçon d’inconscience pour penser que depuis l’élection démocratique, libre et transparente d’un Président de la République les mauritaniens allaient ne plus avoir à s’occuper que de l’amélioration de leurs massacrantes conditions de vie. Le piège était sous nos yeux, profond comme le forage pétrolier de Chinguitty. Nous fonçâmes droit dedans comme les forcenés que nous fûmes. Nous oubliâmes que tout projet valait avant tout par la légitimité de ses concepteurs, la pertinence de son objet et la foi de ses porteurs et de ses bénéficiaires/cibles. Pour la foi et la légitimité il faudra repasser.
Les militaires qui ont opéré le putsch d’août 2005 ont été élevés au rang de « vaillants héros » pour nous avoir « débarrassés » d’un dictateur sanguinaire. Ceux qui leur ont décerné cette distinction « au nom des mauritaniens » ont sans doute jugé qu’il importait peu que les militaires se fussent imposés à nous un certain 10 juillet 1978 au sortir d’une guerre dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne l’avaient pas gagnée. Il importait également peu qu’on rappelât que le monstre « qui avait ses dents avant ses yeux pour déchirer les agneaux et sucer leur sang pur » était lui-même un cadeau fait au peuple mauritanien par l’armée dans un grand élan de générosité. L’armée avait enfanté Ould Taya, elle l’a repris, béni soit le nom de l’Armée !? Fallait-il en déduire qu’elle avait gagné le droit de s’incruster dans la vie politique et de n’en plus partir, nonobstant la volonté de tout un peuple ? Au Mali et au Sénégal où l’Armée paie un lourd tribut à la lutte contre les groupes armés les civils gèrent en toute indépendance le mandat que leur a confié l’électeur. Si le droit de s’immiscer dans la sphère politique devait être fonction du prix payé sur le champ de guerre les militaires de ces pays deviendraient au bas mot Présidents à vie. En Algérie où l’ALN a chassé le colonisateur puis occupé le pouvoir, Abdel Aziz Bouteflika mène la barque après s’être débarrassé de la tutelle encombrante de l’armée. Alors que sont ces réclamations des lendemains qui chantent ? Nous serions curieux de savoir comment chez nous, ceux qui ont décidé de s’asseoir sur la volonté du peuple (une baïonnette, rappelez-vous on peut tout en faire sauf s’asseoir dessus) ont gagné leurs galons ? Quelle guerre, quelle bataille ont-ils remportées ? Sur quel champ d’honneur se sont-ils illustrés ? Il y a vraiment des réussites qui cachent de retentissants et cuisants échecs. Le putsch d’août 2005 a été une curiosité saluée par des démocrates sincères et convaincus, tant le désir était grand de neutraliser le dictateur qui nous martyrisait. Celui d’août 2008 a réussi le tour de force de mobiliser contre lui une partie de l’opinion nationale : pour la première fois dans notre histoire, un coup d’Etat n’arrive pas à s’imposer deux mois après son exécution malgré la versatilité du mauritanien et sa propension à vénérer le détenteur du pouvoir. Ce n’est pas un hasard. D’abord parce que le président qu’il a renversé, malgré ses défauts, était arrivé au pouvoir par la volonté des urnes (que sa candidature ait été suscitée et appuyée par un groupe ou un autre ne change rien au fait que les électeurs ont vraiment voté pour lui sans bourrage d’urnes ni manipulations de scrutin). Ensuite parce qu’il nous détourne des préoccupations essentielles pour maintenir tout un pays sur une voie de garage, réduit à gérer une crise politique qui s’éternise, avec des agents de l’Etat qui vont au travail (quand ils y vont) pour voir passer le temps des incertitudes, des investisseurs et des opérateurs économiques qui perdent confiance et patience et le peuple qui voit sa situation se précariser davantage faute d’avoir des leaders qui se penchent sur son quotidien. Enfin parce que la Communauté Internationale le rejette sans ambiguïté avec à la clef le spectre de l’embargo et son lot de pénuries parce qu’elle joue sa crédibilité. Pour toutes ces raisons, et quelle que soit l’issue de ce bras de fer, ce putsch est un échec et un cauchemar qui doit prendre fin. C’est le sort d’un pays qui se joue contre la carrière de quelques gradés. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Le Président Umaru Musa Yar'adua, malade, vient de réaménager la haute hiérarchie militaire du Nigeria tout comme Sidi Ould Cheikh Abdallah au début de son mandat quand il remerciait Ould Boubacar et d’autres hauts gradés de l’armée. Au Nigeria il n’y a pas eu coup d’Etat (une armée est républicaine ou pas) tout comme il n’y eut aucune voix pour crier à la décapitation de l’armée lorsque le remaniement ne gênait pas nos actuels putschistes. La motivation n’étant ni consistante ni altruiste « nos vaillants héros » sont en passe de se muer en pieds nickelés, en hypothéquant au passage l’avenir de tout un peuple alors que la seule question qui se pose c’est : quand et comment vont-ils quitter le pouvoir ? Ils gagneraient à négocier leur départ, pendant que certaines choses peuvent encore être sauvées. Par là est la sortie. Et le salut.
Salut

Abdoulaye DIAGANA
France
abdouldiagana@yahoo.fr
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