mercredi 15 juin 2011

Edito : recensement national de la population, illusio et culture du travail bâclé.

Dans le répertoire bourdieusien, l’illusio correspond à cette tendance à adhérer à un champ qu’on s’empresse de mettre à l’abri de la discussion. Dit rapidement, c’est un peu comme s’inventer une histoire tout droit sortie de notre imagination et qu’on finit par prendre pour vérité indiscutable.

C’est un exercice dans lequel excellent les décideurs mauritaniens. Ainsi, construisent-ils des routes recouvertes d’une matière noirâtre que l’on considère comme du bitume. Tombées les premières pluies, les automobilistes slaloment entre les crevasses en cherchant les traces de ce qui dans une autre vie ressembla à une route bitumée. Normal : le plus important n’était pas d’avoir une route de qualité mais bien de pouvoir dire que l’entrepreneur a livré une route en contrepartie de l’argent empoché et le politique est contant de pouvoir pavaner lors de l’inauguration. Idem pour les ponts : on se souvient du feuilleton du pont de Kamour fait et refait dans la précipitation et qui s’effondre à répétition.

Avec de mauvaises données on ne prend que de mauvaises décisions.

Et voilà que le gouvernement confie le recensement national de la population à une commission dirigée par une personne contestée. Au vu du déroulement dudit recensement, on est en droit de penser que les réserves émises sur les compétences et la composition de la commission sont loin d’être injustifiées. Un recensement, dans son principe, permet de compter pour savoir combien nous sommes ? Comment se répartit la population ? Combien de jeunes ? De femmes ? D’enfants ? De personnes âgées ? D’émigrés ? Etc.… Il a pour objet d’aider le décideur à quantifier, à identifier les besoins, à répartir l’enveloppe des ressources disponibles en connaissance de cause, à planifier ses actions… D’où l’importance de disposer d’informations fiables. Avec de mauvaises données on ne prend que de mauvaises décisions.

Tout ne peut pas être instrumentalisé, politisé.

Or, de nombreux témoignages dont ceux de députés, montrent que nous assistons à un véritable sabotage des opérations d’enrôlement. Des agents posent aux citoyens venus se faire enrôler des questions suspectes et humiliantes : connaissez-vous le nom de l’épouse de tel notable ? Parlez-vous telle langue ? Savez-vous réciter le Coran ?... Les agents de recensement ont-ils vocation à se substituer au juge et à décider de la mauritanité d’un citoyen qui présente les documents requis ? De même, ils refusent de recenser les personnes de moins de 45ans. Les heureux élus doivent pour leur part présenter leurs parents s’ils sont en vie. Si vous êtes fâchés avec vos parents, tant pis pour vous, vous ne serez pas recensés ; à moins de faire la paix pour les besoins de l’enrôlement. Pour compliquer les choses, le recensement ne se fait que dans les chefs-lieux de département, avec parfois des distances de plusieurs centaines de kilomètres à parcourir en plusieurs jours pour les plus déterminés. Les mauritaniens nés à l’étranger ne sont pas enregistrés. Quant à ceux fixés à l’étranger, leur cas ne semble intéresser personne. Résultat des courses : de nombreuses personnes ne peuvent pas se faire enrôler. Et comme pour finir de jeter un voile de suspicion légitime sur le processus, tout se déroule de façon confidentielle, comme si quelque part, quelqu’un avait intérêt à ce que les choses se déroulent en petit comité. Qui a intérêt à saboter ainsi les statistiques du pays ? Pour quels sombres desseins ? Pourquoi les plus hautes autorités laissent-elles faire ?

Imaginons un père de famille donnant la dépense quotidienne à son épouse en faisant semblant d’ignorer la présence de quelques membres de la famille ! Comment peut-il s’étonner que le repas ne suffise pas aux besoins de tous surtout quand des visiteurs imprévus (ils ne le sont pas souvent chez nous) se sont retrouvés dans la maisonnée opportunément à l’heure du repas ?

Ce recensement a réussi le tour de force de mobiliser contre lui presque tous les mauritaniens. Les négro-africains crient à la tentative de marginalisation. Les arabo-berbères s’insurgent contre les embuches semés sur leur chemin comme pour les dissuader de se recenser. C’est un scandale ! En 1998, l’organisation était autre ; l’esprit aussi. Plus de dix ans après, la Mauritanie avance à grands pas. A reculons.

Avec ce recensement, on (dés) organisera notre état-civil de même que le fichier électoral. On fera alors semblant d’avoir des papiers mauritaniens ; on fera semblant aussi de voter comme le font ceux qui font semblant de croire en la démocratie. Après tout, chez nous, on fait toujours semblant. Semblant de solder les assassinats extrajudiciaires, les crimes et les déportations en les nommant « passif humanitaire » ; semblant de minimiser la gravité d’un coup d’Etat militaire en l’appelant « rectification » ; semblant de vendre une entourloupe gigantesque en l’appelant « démocratie », semblant de construire un pays en l’appelant « Mauritanie ». Et interdiction formelle de remettre tout ça en cause ou même d’en douter : « Aux questions sur les raisons de l'appartenance, de l'engagement viscéral dans le jeu, les participants n'ont rien à répondre en définitive, et les principes qui peuvent être invoqués en pareil cas ne sont que des rationalisations post festum destinées à justifier, pour soi-même autant que pour les autres, un investissement injustifiable. » (Bourdieu, Méditations pascaliennes). Tout est dit.

Abdoulaye DIAGANA

KASSATAYA.COM

Billet : Ould Abdel Aziz lâche Khaddafi, un fidèle soutien.

La vie est cruelle pour les rêveurs ! Et la politique donc ! Il doit siéger dans le crane
de Mouammar Khaddafi un violent tourbillon suite à la décision de Mohamed Ould Abdel Aziz
de le déclarer fini et incapable de diriger la Libye. Qui l?eut cru ? On se souvient
qu?après le coup d?Etat perpétré par le général Mohamed Ould Abdel Aziz contre Sidi Ould
Cheikh Abdallahi, le colonel Khaddafi, alors président de l?UA s?était fait un point
d?honneur de faire entériner le fait accompli. Pendant que le Groupe de Contact (UA, OIF,
CEDEAO, OCI, Ligue Arabe) s?employait à faire plier la junte militaire, Mouammar Khaddafi
défendait urbi et orbi la légitimité de Mohamed Ould Abdel Aziz.

C?est ainsi que recevant le président renversé à Tripoli en mars 2009 pour chercher une
solution à la crise institutionnelle en Mauritanie, le Colonel Khaddafi faisait
comprendre à Sidi ould Cheikh Abdellahi que le retour en arrière n?était pas possible et
que toute solution devait tenir compte du fait que Ould Abdel Aziz était le président de
la Mauritanie.

Surpris par une cette position peu habituelle de la part d?un arbitre Sidi Ould Cheikh
Abdallahi rentrait tranquillement reprendre sa méditation à Lemden, son village natal où
il avait été assigné à résidence.

Auparavant, en signe de reconnaissance, Khaddafi avait accrédité un ambassadeur nommé par
la junte militaire. Le colonel parvenait même à obtenir de son protégé mauritanien la
rupture des relations diplomatiques avec Israël juste avant une visite restée gravée dans
les mémoires. Indignés par le soutien affiché au grand jour par le colonel Khaddafi
envers le général ould Abdel Aziz, la délégation du FNDD avec à sa tête Messaoud Ould
Boulkheir avait alors quitté ostensiblement le palais des congrès pour manifester son
désaccord.

Fort de ce soutien (et de bien d?autres), le général Ould Abdel Aziz réussit à
«régulariser» son pouvoir.

Le Colonel Khaddafi se faisait fort de sillonner une Afrique en ébullition pour dénoncer
la démocratie qui serait une excroissance honteuse importée d?un Occident honni. Il
encourageait le président Tanja du Niger à modifier la constitution de son pays pour
s?éterniser au pouvoir.

Aujourd?hui, la bourrasque a tourné. Et elle est arabe. Le fantasque colonel est dans de
sales draps, plus proche de la Roche Tarpéienne que du Capitole. Réaliste, Ould Abdel
Aziz n?a pas jugé utile de se compromettre pour son désormais ex parrain.

Ironie du sort, fin février 2011, la Mauritanie publiait un communiqué dans lequel elle
réaffirmait «sa conviction entière que la pratique effective de la démocratie et des
libertés publiques et individuelles est le seul garant de la paix, de la sécurité, de la
stabilité et de la prospérité des peuples » (sic).

Dans la foulée, Ould Abdel Aziz se débarrassait de Naha Mint Mouknass, ministre des
affaires étrangères réputée proche de Khaddafi. En politique il n?y a pas d?amis. Les
intérêts convergent ou non et font des alliés de circonstance. Ould Abdel Aziz aurait pu
choisir la loyauté. Il lui a préféré le réalisme. Ainsi va la politique. Ce n?est
certainement pas Khaddafi qui dira le contraire.

Abdoulaye Diagana

Source: KASSATAYA

Sensation à l'ouverture du congrès des FLAM: Samba Thiam fait les comptes, les FLAM ne peuvent pas porter seules le fardeau de la lutte.

La salle des fêtes de l'hôtel Ibis de Champs-sur-Marne (près de Paris) a abrité ce samedi
28 mai 2011 la cérémonie d'ouverture du VIIème congrès des Forces de Libération
Africaines de Mauritanie (FLAM). Première surprise, contrairement aux habitudes dans ce
genre de circonstances, invités et congressistes ont répondu présent presque sans retard,
malgré l'heure matinale.
La matinée s'annonce prometteuse. Il suffit de jeter un regard sur l'organisation pour
s'en convaincre : accueil chaleureux des hôtesses sourire de rigueur, stand à l'entrée où
sont exposés les badges nominatifs des invités et des congressistes, croissants,
petits-fours, petit déjeuner en libre-service... du rarement vu dans les manifestations
africaines comme le fera remarquer le journaliste Sidik Abba de la PANA.
10h : les invités s'installent dans la salle de conférence et échangent des politesses.
Certains font connaissance, d'autres fêtent les retrouvailles : la délégation américaine
est bien représentée. Soudain, les regards se tournent vers l'entrée : le président Samba
Thiam fait son entrée. Quelques poignées de main et le voilà installé à la tribune
entouré de Ibrahima Mifo Sow, secrétaire à l?organisation, de Ndongo Abou Bekrine,
coordinateur du conseil national et Ibrahima Abou Sall, secrétaire général de la section
Europe de l?Ouest et organisateur de l?événement. Après un bref mot de bienvenue ce
dernier, très détendu et souriant, donne la parole au président Samba Thiam qui ouvre son
discours en rappellent que les « congrès étaient un moment de pause? destinés à faire le
point, à ouvrir des perspectives et à réajuster, au besoin, méthodes et stratégies de
lutte ». Le ton est donné. Ce congrès ne sera pas comme les autres.
Dictature raciste et arrogante
Très remonté contre le président Mohamed Ould Abdel Aziz qui « au tout début de sa prise
de pouvoir avait suscité quelque espoir », Samba Thiam dénoncera l'absence d'équilibre
dans la représentativité dans la haute administration, l'évacuation de la question du
passif humanitaire, l'arrêt brutal du retour des réfugiés, la spoliation des terres de la
Vallée, et le laxisme dans la gestion de la question de l'esclavage. Pour le président
des FLAM, le constat est clair et amer : « le régime, par toutes ces pratiques, est
entrain de révéler sa vraie nature : une dictature camouflée, arrogante, répressive et
raciste, qui œuvre à préserver le même Système discriminatoire, à l'origine des régimes
militaires arabo-berbères qui l'avaient précédé ! Comme ces derniers, le Régime du
président Mohamed Ould Abdel Aziz élude les questions centrales pour n'aborder, au petit
bonheur la chance, que les questions périphériques, techniques, secondaires ». Il
reviendra ensuite sur les violences contre les étudiants noirs à l'université de
Nouakchott avant de minimiser la portée de la décision prise par les autorités
mauritaniennes de répertorier les tombes des disparus depuis l'indépendance.
Dispersion des forces, rôle des sites électroniques
La charge est violente contre le régime. Elle le sera à peine moins pour « les forces de
la résistance ». Samba Thiam ne se montre pas tendre en effet avec ces organisations, les
FLAM comprises, qui se livrent à une querelle de clochers, « jouant au leader »,
organisant leurs propres manifestations? Il fustigera également la gestion des sites
électroniques sur fond de chasse aux visiteurs, regrettant qu'elles donnent dans l?auto
flagellation au lieu de s'attaquer au Système.
Le moment est venu de nous remettre en cause.
« A situation nouvelle, stratégie nouvelle », lance Samba Thiam. La salle retient son
souffle. Le fantôme du congrès de Cincinnati qui a vu l'organisation traverser une sévère
crise semble s'éloigner. Samba Thiam poursuit en appelant à « l'unité la plus large
possible avec les forces patriotiques, démocratiques et progressistes qui partagent, avec
nous, les mêmes aspirations? S'unir ou périr tel est le sens et l'alternative de
l'instant, tel est l'enjeu du moment ». Les lignes semblent bouger. Et pas de peu. Et le
président des FLAM de déplorer l'autosatisfaction et la condescendance auxquelles son
organisation a pu céder par moments. C?est qu?après avoir rendu un hommage appuyé aux
martyrs qui ont donné leur vie et aux militants qui font preuve de persévérance, Samba
Thiam en est arrivé à la conclusion qu' « il serait illusoire de croire qu'une seule
organisation, même toute puissante, au vu des conditions internes de plus en plus
difficiles et complexes, fut en mesure de venir à bout, toute seule, du Système en cours
». L'auditoire saisit la portée de la déflagration et la couvre de ses applaudissements.
Un véritable tournant s'annonce. Ce congrès ne ressemblera décidemment pas aux autres.
Pour ceux qui ne l'auraient pas compris, le président des FLAM martèle qu'il faudra se
préparer à « prendre les décisions courageuses qu'impose l'évolution de notre
organisation, voire sa survie ». Un autre tabou va tomber : le mouvement va se redéployer
en Mauritanie. C?est l'objet d?une vieille querelle qui vole en éclats. Désormais, plus
rien ne sera comme avant. En se débarrassant de ces écueils, les FLAM renvoient
habilement la balle dans le camp des autres organisations et partis. Les FLAM se disent
prêtes pour le rassemblement et le combat sur le terrain.
Tous les invités qui prendront la parole abonderont dans le même sens et encourageront
les FLAM à aller jusqu?au bout de ces résolutions. Une absence de taille assombrit
cependant le concert : la section française de l?AJD/MR n?a pas répondu à l?invitation
des FLAM.
Il est 12h30, les congressistes ont une demi-heure d'avance sur le programme. Les invités
s'installent dans le restaurant de l'hôtel. Les discussions informelles reprennent dans
une atmosphère bon enfant. Des acteurs qui s'étrillaient copieusement sur le net
rigolent, plaisantent et mangent côte à côte. Un nom s'invite soudain : mais qui est donc
Poullori ? Où est-il ? Quelqu'un semble l'identifier à une table. Tout le monde en rit.
Aucune tension n'est visible. Le syndrome de Cincinnati est exorcisé.
En raccompagnant quelques invités et en répondant à l'un d'eux désireux de prendre la
carte des FLAM pour assister aux travaux du congrès, Ibrahima Sall répond en riant « ce
sera pour le huitième congrès à Nouakchott ». Rendez-vous est pris. Les invités se
dispersent vers 15h, laissant les congressistes mettre en musique la feuille de route
tracée par le président. Les conclusions seront attendues avec impatience. Une page est
entrain d'être tournée.

Abdoulaye DIAGANA pour KASSATAYA