lundi 28 juillet 2008

Allende et Pinochet/Gorbatchev et Eltsine/Sidi, Ahmed et les autres.

Nous nous sommes couchés ce 19 avril 2007 avec le sentiment d’avoir enfin accédé au club des pays pouvant se vanter de choisir librement des représentants assumant la lourde charge de veiller sur leurs intérêts. Disposer d’institutions républicaines fonctionnant en toute indépendance dans le cadre fixé par la constitution était un idéal largement à notre portée. Las. Nous assistons passivement à une entreprise de démantèlement des acquis démocratiques sans même que nous puissions esquisser la moindre résistance ni la moindre désapprobation. Jouir du pouvoir -consacré par la constitution- de choisir librement nos dirigeants n’aura pas suffit à faire de nous des citoyens libérés des contingences de la peur. Nous peinons à admettre que le temps où « l’élite » ou le prince dictait le candidat pour lequel il faut voter -parce que recueillant sa bénédiction- doit être révolu, mort et définitivement enterré. Les enjeux du bras de fer qui plonge le pays dans l’immobilisme et l’incertitude vont largement, très largement au-delà de la personne de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ces étincelles sont le prélude d’un conflit autrement plus décisif, plus grave : de ces convulsions naîtront les contours de la démocratie mauritanienne avec deux variantes :
-Des institutions fonctionnant dans le cadre des règles établies par la constitution votée par la majorité des mauritaniens ;
-Une démocratie sous la tutelle de l’armée.
Les politiciens amateurs d’aventures, de sensations fortes ou simples alchimistes auraient tort de se féliciter de l’affaiblissement de la démocratie et de l’institution présidentielle en cherchant à en tirer quelque profit. Ils n’en jouiront pas longtemps. Car, en vérité, il s’agira d’un très grave précédent dont notre démocratie ne se relèvera pas. Si les institutions et la démocratie venaient à capituler cette fois, qu’est-ce éviterait plus tard de faire de l’événement une jurisprudence ? Au-delà de la personne et du sort de Sidi Ould Cheikh Abdallahi (qui ne comptent pas plus que leurs poids) c’est le sort de l’institution présidentielle qui est en jeu. Devant la reddition d’un président qui n’arrive pas à emporter l’adhésion populaire faute de se pencher sérieusement et efficacement sur l’amélioration des conditions de vie et de se rapprocher du peuple, celui-ci s’est aplati et compte les points. Ce qui reste des troupes, les républicains et les démocrates ont quitté le navire. De vedettes africaines nous sommes sur le point de passer pour la risée du continent parce que nous avons déserté notre idéal, incapables que nous avons été de préserver et de consolider une démocratie à transmettre aux générations futures. Nous suivons impavides les événements et attendons le dénouement comme si nous avions décidé de nous suicider joyeusement. Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’a pas su parler au peuple pour lui rendre compte des difficultés qu’il éprouve à protéger la constitution et le mandat qui lui a été confié. Comment ne pas penser à Salvador Allende, impitoyablement acculé par l’armée chilienne, disant à la foule venue l’acclamer et lui témoigner soutien et fidélité : « Je tiendrai mes engagements comme un président qui connaît la dignité de la charge que lui a remise le peuple après des élections libres et démocratiques » ? Notre président a lui littéralement dilapidé le capital confiance et sympathie que le peuple avait placé en lui. Qu’il se pose juste une question : s’il venait à quitter le pouvoir, qui se sentirait orphelin ? Autrement dit, de qui le président est-il le protecteur au point de s’attendre à un retour sur investissement ? Allende n’a pas conservé son pouvoir on le sait car il s’est suicidé au moment où les chars lançaient l’assaut sur la Moneda, le siège de la présidence chilienne ; mais il est resté dans l’histoire pour avoir offert sa vie pour la démocratie, les pauvres, les travailleurs. «Je ne reculerai pas d’un pas… Je ne quitterai la Moneda que lorsque j’aurai accompli la tâche que le peuple m’a donnée. Je n’ai pas d’autre choix. C’est seulement en me criblant de balles que l’on pourra m’interdire de mettre en œuvre le programme du peuple » avait-il averti . Symbole d’une révolution socialiste réussissant le tour de force de s’imposer par la voie des urnes, l’homme était l’incarnation de l’utopie d’une vie plus libre et plus juste, en ce sens qu’il se préoccupait avant tout (i) de l’égalité et (ii) de la condition des travailleurs et des pauvres avec pour slogan du pain, un toit, un travail et plus d’égalité sociale. Mais comme tout héros, il avait devant lui des obstacles infranchissables parmi lesquels l’hostilité de la bourgeoisie militaro-industrielle, incarnée par Augusto Pinochet et agrippée à des privilèges dont elle n’entendait pas se laisser délester sans livrer combat. Même dans ce chaos propice où la trahison se faisait religion, des hommes ont gardé la tête haute en refusant d’entériner le complot. L’histoire se souviendra du Général Alfredo Bachelet (père de Michelle Bachelet actuelle présidente du Chili) et du Général René Schneider sacrifié par les félons pour avoir inspiré une doctrine qui voulait que l’armée s’assignat comme mission de veiller à ce que les institutions du pays fonctionnent régulièrement, avec un pouvoir politique respectueux de la légalité constitutionnelle, tout en s’interdisant strictement toute manipulation tendant à renverser le vote populaire, action qu’il assimilait à un acte de haute trahison (de quoi inspirer notre armée.) Le peuple qui se sentait en confiance et se savait représenté pouvait suivre son président. Parce que « quand un peuple est conscient des buts à atteindre, il fait des sacrifices » et le président avait d’incontestables atouts de son côté : la morale, la rectitude, la probité. A l’inverse, dans l’entourage du président mauritanien, il y a des hommes dont la rectitude souffre au moins de suspicions (faisons dans l’euphémisme) et il tarde à faire la lumière sur le fonctionnement de la fondation de son épouse. C’est assez pour que de nombreux compatriotes soucieux de préserver les acquis démocratiques s’abstiennent de lui prêter main forte dans ces conditions. Il ne viendra à l’esprit d’aucun humain de demander au président mauritanien une sortie à l’image du chilien, mais il pourrait au moins tenter de sauver ce que le peuple lui a confié : le pouvoir de protéger la République et ses institutions. Pinochet finira comme un fugitif cloué au pilori avec à ses trousses les juges du monde entier, l’ignominie et l’opprobre. Allende finira au panthéon des justes avec des monuments, des statues et des rues à sa gloire. On a le sens de l’Histoire ou on ne l’a pas. C’est ainsi.
En Mauritanie, dans le naufrage collectif, l’opposition ne s’en tire pas mieux. Son leader, Ahmed Ould Daddah, se berce d’illusions s’il croit pouvoir tirer profit de l’effondrement de l’édifice démocratique en recherchant en priorité le soutien des militaires. « La vie est impitoyable avec les rêveurs ». Ils le mettront aussi sous tutelle si jamais il parvenait au pouvoir juché sur le capot de leur jeep. Devant tant de menaces et d’incertitudes, il lui eut été plus honorable et élégant de défendre la démocratie et l’institution présidentielle au nom d’un idéal qui va au-delà de la personne de Sidi Ould Cheikh Abdallahi et des calculs politiciens ajustés aux agendas des uns des autres : l’intérêt inaliénable de la Mauritanie éternelle. Parce qu’il ne peut y avoir de compromis sur des principes. Des cités et des empires mieux structurés et plus puissants que notre Mauritanie se sont effondrés sans laisser de traces. Rome a commencé son déclin quand les romains se mirent à bafouer les règles qui régissaient la vie de la Cité. Qu’il médite donc l’exemple de Gorbatchev et de Eltsine, ennemis jurés s’il en était. Le premier s’accrochait avec l’énergie du désespoir à un empire décadent que le second s’employait à achever avec la dernière énergie. Pourtant, quand le 19 août 1991 des putschistes s’emparent du pouvoir c’est Boris Eltsine qui se hisse sur un char pour appeler à une résistance qui devait mettre un terme à la rébellion contre les institutions. Il entra alors dans l’Histoire par la grande porte comme le symbole qui se dressa devant les usurpateurs en treillis militaires, oubliant un instant ses divergences avec Gorbatchev. Il finira par se faire élire président de la Fédération de Russie. On a le sens de l’Etat ou on ne l’a pas. C’est ainsi.