dimanche 18 mai 2008

Des aspérités de la démocratie élective.

Reprenant Périclès, Abraham Lincoln décrivait la démocratie comme étant le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Mais si aujourd’hui « peuple » est compris comme l’ensemble des membres du corps social, il n’en a pas toujours été ainsi. Déjà dans la cité-Etat d’Athènes au VI siècle avant JC, ni les femmes, ni les esclaves ni les métèques ne jouissaient d’aucun droit politique ou simplement de la citoyenneté. La France d’après révolution établissait le droit de vote sur la base aujourd’hui contestable de la fortune (suffrage censitaire). Elle ne reconnaîtra le droit de vote aux femmes qu’en 1944, quelques années après les Etats-Unis d’Amérique, chantres de la démocratie libérale qui ont longtemps exclu du vote femmes et populations noires. Dans la quasi-totalité des Etats ayant adopté le régime démocratique la tendance est plutôt à la reconnaissance du droit de vote sans distinction, à l’ensemble des populations. Le système se rapproche donc bien mieux du « pouvoir du peuple » par le couple délégation/légitimation. Là les choses se compliquent. Comment s’assurer en effet que les représentants choisis sont ceux qui perçoivent et défendent le mieux l’intérêt du groupe ? Comment s’assurer également qu’ils ne se serviront pas de cette délégation de pouvoir pour se mettre au service d’intérêts inavouables ? Les exemples de déviations sont nombreux qui se traduisent par la confiscation du pouvoir par une minorité « d’élus ». Nous y reviendrons. Mais, plus grave, le fonctionnement actuel du système rend compte de l’existence de cercles de décisions contrôlés par une minorité de citoyens. Contrairement à la Cité Athénienne, ce ne sont certes plus les quelques citoyens privilégiés qui disposent du droit de vote et qui, partant, contrôlent de juré et de facto, la vie de la cité, mais au final ceux qui détiennent les moyens de communication (les grands groupes de presse) et les capitaux ont bien un avantage sur les autres : ils façonnent l’opinion et « achètent l’adhésion » de la majorité des citoyens devenus spectateurs. Le défenseur du meilleur projet de société n’a que peu de chances d’emporter l’adhésion de la majorité des citoyens s’il n’a ni les moyens de le vulgariser ni de couvrir de vastes territoires pour aller à la rencontre des électeurs pour les convaincre ou tout simplement créer une certaine proximité avec ceux dont il est censé défendre l’intérêt. Le citoyen va voter mais l’orientation de son choix se fait ailleurs et parfois à son insu. Dès lors, l’élite avertie et au fait de certaines menaces réelles ou supposées peut pousser des cris d’orfraie et s’indigner mais au nom du système démocratique dont elle se réclame peut elle contester le choix de la majorité et se substituer à elle ou la mettre sous tutelle pour réfléchir et décider à sa place ? Au Sénégal où un président « démocratiquement » élu se livre à des manipulations constitutionnelles selon sa fantaisie, les protestations objectives de l’élite n’ont pas empêché la réélection de l’impétrant. En Thaïlande, des généraux bienveillants ont cru devoir débarrasser le pays d’un premier ministre qui, bien qu’élu par le peuple, a pu prendre quelques libertés avec le droit. Quand quelques mois plus tard des élections sont organisées, le même peuple élira le parti qui défendait le bilan de l’accusé qui rentrera triomphalement en Thaïlande pour devenir conseiller de son homme lige devenu premier ministre. En Mauritanie, la chute du dictateur Ould Taya a été unanimement saluée y compris par ceux qui le soutenaient naguère. Le peuple est massivement descendu dans les rues pour célébrer les nouveaux vainqueurs et crier son dégoût de l’ancien et de son système. Pourtant, quelques mois plus tard, quand des élections libres et transparentes sont organisées ce même peuple donnera mandat en majorité aux très fraîchement anciens soutiens du dictateur déchu. Ces mêmes hommes qui étaient aux affaires quand la Mauritanie se faisait épingler pour de graves fautes de gestion ; les mêmes qui, lors du congrès du PRDS, ex parti-Etat avant de devenir PRDR, insignifiant maillon de la nouvelle mouvance présidentielle, reconnaissaient le caractère peu exemplaire de leur attitude du temps où ils faisaient la pluie et le beau temps au pouvoir. « La foule ne saurait accomplir d’actes exigeant une intelligence élevée ». « …Elle est toujours intellectuellement inférieure à l’homme isolé ». Cette affirmation ne date pas d’aujourd’hui ; Gustave Le Bon l’a écrite il y a plus d’un siècle. De grands hommes ont pu, quand ils ont compris les mécanismes de fonctionnement de sa psychologie, lui faire faire quantités de barbaries. Adolf Hitler n’est-il pas arrivé au pouvoir par la volonté du peuple ? De nombreuses voix s’élèvent contre le régime démocratique notamment dans les Etats africains où les élections se soldent très souvent par des manipulations de scrutins, la contestation des résultats, les violences post électorales, les conflits ethniques… qui fragilisent des Etats en construction. Dans le meilleur des cas, si on peut parler de « pouvoir du peuple » en ce sens que le choix émane, en tout cas formellement, du peuple, on peut difficilement toujours dire qu’il est exercé «par le peuple pour le peuple ». Dans ce système, les électeurs sont logés à la même enseigne. Le paysan ne sachant ni lire ni écrire et dont l’horizon ne dépasse guère le campement a les mêmes droits, le même poids que l’expert politique conscient des enjeux auxquels fait face le pays, le macro économiste capable de mesurer les implications des choix opérés par les gouvernants…L’avantage majeur du système réside dans le fait que le choix est d’une façon ou d’une autre, celui du peuple. S’il y a erreur, elle est celle du peuple tout entier, non d’une minorité élitiste. On peut tout au plus regretter qu’en plus du pouvoir de choisir ses représentants, on ne lui ait pas donné en même temps les outils lui permettant d’opérer le choix avec discernement, en connaissance de cause ainsi que le pouvoir de contrôler l’exercice du pouvoir délégué. Mais ne désespérons pas. Nos foules sauront, au besoin, mobiliser le discernement nécessaire pour punir ceux qui se jouent d’elles. Car « les foules sont féminines. Qui s’appuie sur elles peut monter très haut et très vite, mais en côtoyant sans cesse la roche Tarpééine et avec la certitude d’en être précipité un jour ». Que ceux qui croient pouvoir abuser le peuple tout le temps se le tiennent pour dit.


DIAGANA Abdoulaye

France