Les échecs successifs des différentes politiques de développement menées sous les injonctions des bailleurs de fonds (FMI, Banque Mondiale, pays développés…) ont conduit les pays sous développés à remettre en cause les méthodes jusqu’ici considérées comme incontournables. Les raisons de cette crise du développement sont multiples mais on citera sans être exhaustif l’indigence de la nature, la raréfaction des moyens financiers, l’ouverture commerciale imposée par la mondialisation, l’inadaptation des politiques pensées ailleurs et certainement un défaut de rigueur dans la gestion qui a été celle des classes dirigeantes aux affaires, pour certaines, depuis plusieurs décennies.
Confrontés à une croissance démographique soutenue à laquelle ne correspond pas nécessairement un accroissement des ressources, les pays en mal de développement ont du également composer avec une nature de plus en plus ingrate. Les terres agricoles, sous la pression démographique et faute de pouvoir se régénérer, deviennent de plus en plus stériles et les récoltes se réduisent à leur plus simple expression. Ce facteur combiné à la pauvreté et à la précarité qui caractérisent les populations de l’Afrique de l’Ouest a certainement eu des incidences négatives sur le sort des efforts de développement entrepris par différents acteurs.
D’après le Dr Bennett, l’agriculture est le moteur du développement car utilisant 70% de la main d’oeuvre et participant pour 40 % au produit intérieur brut dans la zone sahélienne (Cf. symposium agriculture mali INSAH 2003). Or, dans son Atlas 1997, le PNUE qui reprend des données du projet GLASOD[1] estimait à près de 30% la proportion des terres sahéliennes fragilisées suite à l’activité anthropique. On peut dès lors aisément mesurer l’ampleur du désarroi des populations de ces régions et les risques inestimables auxquelles elles sont exposées si le processus n’était pas enrayé en urgence.
Par ailleurs, parallèlement à la dégradation de l’environnement, les bailleurs de fonds ont revu leur politique d’aide au développement sous l’influence des nouveaux enjeux nés de la fin de la guerre froide et de l’élargissement de l’Union Européenne aux pays de l’Est. Désormais, un accent particulier sera mis sur
D’autre part, les nouvelles règles dictées par l’ouverture économique et commerciale à l’échelle planétaire (mondialisation) imposent aux pays africains de s’adapter en réorientant leurs actions pour plus de compétitivité. L’apparition de nouveaux acteurs (les alter mondialistes) introduit l’exigence d’une plus grande solidarité entre le Nord et le Sud et celle d’une mondialisation plus équilibrée.
Toutefois, en dépit de l’engagement pris par les gouvernants et leurs partenaires extérieurs en vue d’une plus grande implication des populations concernées dans la gestion de leurs affaires, le transfert des compétences n’a pas été suivi d’un transfert de pouvoirs. En effet, les communes restent pour la plus part dépourvues de moyens financiers et politiques malgré la « légitimité » qu’elles tiennent du suffrage universel. En Mauritanie par exemple, les décisions des municipalités restent soumises à « l’approbation préalable » du ministère de tutelle (Ministère de l’intérieur). De même, les élus n’ont pas les moyens de recouvrer les taxes qui, en plus de constituer une part essentielle de leurs revenus budgétaires, symbolisent l’appartenance à une entité étatique dont on reconnaît la souveraineté. La citoyenneté part de là. La même configuration prévaut au Mali et au Sénégal.
Dans ce contexte singulier, les ONG jouent un rôle éminent au point de suppléer parfois des Etats écrasés par le poids des endettements. Vu sous cet angle, la décentralisation représente pour l’Etat un moyen de se donner du sens. Il y a là un paradoxe qui n’est pas des moindres. C’est bien, in fine, le développement Local qui ouvre à l’Etat de nouvelles opportunités de se recycler et de reconquérir une crédibilité malmenée par des décennies d’errements dans l’exercice de ses fonctions régaliennes. D’où un risque majeur de déconstruction et de désacralisation d’un Etat qui peut apparaître comme incapable d’assumer son rôle de concepteur et de réalisateur de son propre développement. Le risque parait d’autant plus important que certaines ONG internationales peuvent parfois disposer de moyens supérieurs à ceux de l’Etat. Cette situation peut être source de déséquilibres et limiter les aptitudes de l’Etat à réduire les inégalités de développement dans l’espace. Dès lors, la finalité d’un développement local qui comporte autant de paradoxes peut susciter de multiples interrogations.
Face aux désengagements successifs des Etats, contraints et forcés par une mondialisation qui les exclut et dont ils ne semblent pas saisir les enjeux et les ressorts, les populations démunies de l’Afrique de l’Ouest ont-elles les capacités de prendre en charge leur propre destin et conjurer un sort qui les maintient dans un sous-développement structurel ? La société civile et la démocratie locale peuvent-elles servir de paravent au mal développement et d’alternative à une mondialisation pensée et imposée d’ailleurs ? Avec qui faut-il penser un nouveau modèle de développement soucieux de la préservation de l’environnement par une gestion optimale et durable ? Quelles modifications le développement local a-il apporté dans l’environnement naturel et bâti ? Qui les conduisent ? Comment ? Avec quels moyens et quels partenaires ? Ces interrogations qui interpellent le chercheur ne sauraient résumer à elles seules la problématique du développement local. Toutefois, elles permettent d’identifier des pistes de réflexions en suscitant une autre question : Comment des Etats fragilisés par la faiblesse de leurs moyens, un environnement géographique souvent difficile et des populations pas toujours bien préparées dans ce contexte d’ouverture des marchés, peuvent-ils encadrer efficacement leur politique de développement local ?
L’analyse des expériences passées montre une absence de coordination dans la gestion d’une aide de plus en plus en plus rare. De même, il en ressort un manque de cohérence entre les politiques d’aide et les politiques de subvention ou de protectionnisme surtout dans ce contexte d’ouverture des marchés. Le plus souvent, les politiques économiques manquent d’allier l’urgent (court terme) et l’indispensable (nécessité d’une gestion durable des ressources naturelles).
L’hypothèse émise ici est que sous le couvert d’une redistribution des pouvoirs, les Etats de l’Afrique de l’Ouest cherchent à se donner un sens en délégant leurs prérogatives aux communautés locales. Toutefois, les hésitations récurrentes des Etats et les résistances des populations locales ne sont pas les moindres des paradoxes des politiques de développement local dans cette région. En effet les difficultés qu’éprouve l’Etat à responsabiliser entièrement les communautés locales et à leur donner tous les moyens de leur politique sont très perceptibles. Pour leur part, certaines franges de la population (Chefferies traditionnelles) ont du mal à renoncer à leur statut et à accepter pleinement les règles de la démocratie locale. On note par conséquent une contradiction entre les logiques participatives et les mesures de contrôle social. Il est à se demander si par certains aspects cette politique ne contribue pas à légitimer ou à exacerber les stratifications sociales. Combien de fois des Etats ou des partis politiques ont-ils jeté leur dévolu sur une représentation de la classe nobiliaire pour mener à bien une opération ou juste pour accroître leurs chances de remporter une bataille électorale ou asseoir leur domination sur une circonscription électorale? Au-delà de la nécessité d’impliquer les populations dans la gestion de leurs affaires, la question qui est posée est bien celle des ressorts de la réactivité des populations de ces Etats face aux nouveaux enjeux du développement local les installant durablement et structurellement dans une trajectoire de développement équilibré respectueux de l’avenir.
[1] Global Land Assessment of Human-Induced Soil Degradation (Evaluation globale de la dégradation des sols d’origine humaine) 1991 cf : www.un.org/popin/fao/centrafriq/frentex3html du 24 septembre 2004.