samedi 19 juillet 2008

LES FIGURES DE LA DICTATURE : QU’ON LES BLANCHISSE OU QU’ON LES BANISSE !

LES FIGURES DE LA DICTATURE : QU’ON LES BLANCHISSE OU QU’ON LES BANNISSE !

Est-il seulement raisonnable que des hommes politiques soient interdits de charges publiques alors même que leur culpabilité n’a jamais été formellement établie ? Autrement est-il acceptable de jeter l’anathème sur des acteurs politiques sur la seule base de la suspicion et de la rumeur ? Des esprits avides de vérités simples et qui ne souffrent pas les complexités de la nuance ont vite fait de penser que c’est faire dans la provocation que de poser de telles questions parce que hay gooto soussa wiidé Jaanga ko reedu (en pular, nul n’ose dire que mlle Jaanga est enceinte). Il leur faut des positions simples, tranchées, Contre ou Pour et réclamer des têtes tout de suite, sans autre forme de procès. C’eut été une posture confortable, très peu coûteuse et politiquement rentable parce que populaire, populiste. Or, nous avons beau dresser la liste des méfaits du régime de Ould Taya, rappeler que des abus, des crimes ont été commis (et pas seulement politiques ou humanitaires. Massacrer cruellement des noirs et en déporter d’autres du seul fait de la couleur de leur peau n’a pas été le seul crime de ce régime), des biens dilapidés, affirmer avec forces détails que des individus ont profité d’avantages indus, que des entreprises publiques ont été littéralement vandalisées, que des projets ont été cannibalisés…il n’en demeure pas moins que nul n’a à ce jour été convaincu du moindre crime, du moindre délit. Tout se passe comme si on se suffisait de diluer les fautes dans une espèce de responsabilité collective : les indélicatesses (excusez la délicatesse du propos !) sont le fait du système, de certains qui ont servi sous le régime déchu, il n’y a pas d’individus à poursuivre, il n’y a pas de noms. Non ! C’est très court ! Trop facile ! La responsabilité est individuelle, nominale et on ne peut se contenter de tout mettre sur le compte du « système », impersonnel et abstrait et faire passer le tout par pertes et profits. On ne peut non plus condamner sur la base de présomptions, de rumeurs, de conjectures… sans jamais avoir attaqué le fond du sujet. Et quoi donc ?! Suffirait-il que, pour mettre hors-jeu un adversaire, on s’érige à la fois en juge et procureur pour décréter que la rumeur l’accuse d’une faute dont il aura à se blanchir avant de prétendre à quelque responsabilité ? On inverserait alors la charge de la preuve ? Et ce serait le triomphe de la présomption de … culpabilité ? Les juridictions populaires et expéditives? Les tribunaux d’exception qui suivraient les réquisitions de la clameur pour livrer à la vindicte populaire et ordonner le lynchage? Trop peu pour moi. On ne va pas combattre un abus en lui substituant un autre.
Le processus démocratique en Mauritanie depuis la transition d’août 2003 souffre d’un défaut de fabrication, une espèce de péché originel : plutôt que de vider l’abcès en regardant notre passé « le blanc de l’œil dans le blanc de l’œil » on a préféré faire comme l’autruche et à la mauritanienne : Maslaha ! (Arrangement à l’amiable), Mahou mouhime ! (Ce n’est pas important) ...On construisit alors une belle bâtisse sur du sable. Pourquoi s’étonner dès lors qu’aux premières pluies et aux premiers vents l’édifice s’effondre ? « On », bien sûr, comprend les pilotes de la transition et leurs partenaires de la scène politique nationale. C’est ainsi qu’on lâcha la proie pour l’ombre (le soninké que je suis sait depuis la tendre enfance que makha an kittoudou niekhé nwara do an taadu niékhé nwa : il ne faut jamais lâcher le poisson que l’on tient dans la main pour celui que l’on a sous les pieds, en français Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras) : on se contenta de ce que le CMJD donnait sans exiger le plus, auquel on pouvait légitiment prétendre, comme si « un mauvais arrangement valait mieux qu’un bon procès » (« on » cette fois-ci c’est nous tous, les amoureux de la Mauritanie, ses « bienfaiteurs », ses acteurs politiques surtout de l’ancienne opposition…). « On » s’est laissé distraire par l’illusion d’une démocratie libre et transparente et le rêve enivrant de cueillir… un pouvoir mûr et à portée de main. « On » a été à ce point assommé par vingt et une années de dictature, de privations et de brimades qu’ « on » était gagné par l’apathie générale et disposé à se livrer pieds et poings liés au tout-venant. Mais la sagesse wolof ne nous enseigne-t-elle pas que lou bey rotteu kou ko yaakar do mandime sow ? (Quiconque fonde ses espoirs sur ce qu’on peut traire de la chèvre ne s’enivrera point de lait, en français, avec de petites ambitions on a des résultats modestes).
Il faut maintenant reprendre ses esprits et remettre les choses à l’endroit. S’il y a des individus qui doivent répondre de fautes que le pays a incontestablement connues, qu’ils en répondent une bonne fois pour toutes, au nom de la Société. Coupables, ils expieront leurs fautes, symboliquement ou non, et prétendront (ou non) aux rôles que la Société voudra bien (ou non) mettre à leur portée. Innocents, qu’ils soient blanchis. Si, bien sûr, l’objectif est une république dont les institutions fonctionnent normalement dans une démocratie apaisée. Voilà pour le principe du droit positif.
Quant à l’aspect politique, l’Histoire a déjà rendu son verdict en vomissant des individus qui se sont compromis avec le régime le plus nocif, le plus honni de la vie de notre pays, celui-là même qui nous a valu tant de peines, de larmes et de sang ; et les acteurs politiques responsables devraient s’abstenir de leur tendre la planche de salut (même si le degré d’implication n’est pas le même pour tous, il doit certainement y en avoir qui ont suivi le bourreau de bonne foi, en croyant servir le pays en faisant abstraction, par naïveté, de la conjoncture politique générale). Ils ne peuvent désormais prétendre à la rémission qu’en (i) reconnaissant leurs responsabilités, (ii) en abjurant leur passé trouble et leur répugnant compagnonnage avec le dictateur banni et (iii) en demandant solennellement le pardon. Là sera peut être le prix du salut et de la rédemption. Qu’ils ne s’avisent surtout pas, ensuite, de nous demander d’oublier. Ce sera largement au dessus de nos forces.
Salut.

Abdoulaye DIAGANA
France.

www.souslatente.blogspot.com

abdouldiagana@yahoo.fr