mardi 15 juillet 2008

NEPOTISME ET AUTORITARISME A LA PRESIDENCE : EXPERIENCES A MEDITER.

L’intérêt que nous trouvons aux événements du passé c’est qu’ils donnent l’échelle et inspirent des enseignements qui peuvent mettre les vivants à l’abri de certaines déconvenues. Pour s’en convaincre, nous vous invitons à revisiter des événements déstabilisateurs vécus dans certains pays de notre continent –et d’ailleurs- qui ont pourtant connu une certaine pratique de la démocratie telle que nous l’avons héritée de la Grèce antique après un détour par l’occident judéo-chrétien. Ces événements nous inspirent deux enseignements :

Le premier est que l’ingérence de la famille dans l’arène politique est généralement source de désordres. La gestion patrimoniale des deniers publiques a été la « vertu cardinale » de nombreux responsables politiques au point que certaines pratiques sont reconnues comme propres aux républiques bananières quand bien même elles auraient cours sous d’autres latitudes. Dans une série d’entretiens accordés à Philippe SAINTENY dans le cadre de l’émission Livre d’Or (RFI septembre, octobre 2003), le Secrétaire Général de l’OIF, l’ancien président sénégalais Abdou DIOUF confiait avoir imposé à ses enfants de ne pas se mêler de politique. On ne peut dire qu’il manqua de bon sens. Ceux qui ont ignoré cette espèce de maxime se sont retrouvés dans des situations inextricables, au point de compromettre sérieusement leur carrière politique. En avril 1974, le coup d’Etat qui renversa Hamani DIORI au Niger (pays que connaît bien l’actuel président mauritanien) se solda par la mort de son épouse feue Aissé Hamani Diori. Malgré les actions concrètes que lui reconnaissent les nigériens, celle-ci s’était attirée les critiques de nombreux concitoyens à cause de son implication dans les affaires. « Son mari l’écoutait, et j’ai considéré qu’elle avait sur lui une bonne influence jusqu’au moment où elle s’est lancée dans les affaires. Elle a commencé par faire construire une belle maison qu’elle a louée aux Américains. L’ambassade des Etats-Unis, y voyant un intérêt politique, n’a pas regardé à la dépense. De fil en aiguille, Mme DIORI s’est laissé entraîner dans des opérations douteuses, elle s’est fait octroyer des terres parmi les plus fertiles pour ses cultures maraîchères, etc. La réputation qu’elle s’est acquise n’a peut-être pas été étrangère au fait que le coup d’Etat de 1974 lui a coûté la vie »[1]. Jacques BAULIN, conseiller et défenseur devant l’Eternel du président DIORI reconnaissait qu’« Elle [Mme DIORI] construisait beaucoup, beaucoup trop, à Niamey. Cela faisait jaser. Les Nigériens comme les Européens, à commencer par les ambassadeurs de France et d’Allemagne. À tel point que nous trouvant à Niamey en même temps, Gilbert Comte et moi, après avoir comparé nos informations, étions arrivés à la conclusion qu’il fallait attirer l’attention du Président sur ce problème. Mais pour une mission aussi délicate, aucun d’entre nous n’était prêt à se porter volontaire.

Dans l’après-midi de ce même jour, au cours d’une discussion avec le Président, il me parle des problèmes d’urbanisme que lui pose l’extension de la capitale, la densification immobilière... Je saute sur l’occasion pour lui dire : « À ce propos, Monsieur le Président, vous savez qu’en ville… on parle beaucoup des nombreuses villas de la Présidente... » Sa réponse ? « Baulin ! Allez lui dire ! Je lui ai fait la même remarque hier soir. » Pour une fois prudent, je me suis bien gardé de suivre ses instructions. À ce jour, je ne connais pas le nombre exact de villas construites par feue Mme Aissa Diori. »[2]. L’affaire, on le sait, finira dans le sang avec la mort tragique de Mme DIORI.

Au Bénin, l’arrivée de Nicéphore SOGLO avait suscité beaucoup d’espoirs. Mais les béninois durent déchanter rapidement quand le président civil, démocratiquement élu s’est cru obligé de noyauter l’Etat en plaçant sa parentèle à tous les niveaux : le fils aîné, Léhady était chargé de mission à la Présidence de la République tandis que son jeune frère avait en charge la communication de l’Etat du Bénin. Le beau-frère du président, Désiré VIEYRA était ministre d’Etat et véritable patron du gouvernement même s’il ne portait pas le titre de premier ministre. Saturnin SOGLO, frère du président était ambassadeur en poste à Bonn et Christophe SOGLO cousin du président était responsable de la sécurité présidentielle. Last but not least, l’épouse du président, « la première dame du Bénin » Rosine SOGLO, était à la fois députée et présidente du parti Renaissance du Bénin vers lequel les fonctionnaires carriéristes courraient les mouches vers le pot de confiture. L’affaire ne finira pas dans le sang, mais les béninois perdront leurs illusions au point de remettre le pouvoir à Mathieu KEREKOU, naguère traité de dictateur. Si ces exemples ne suffisaient, méditons ceux de Ferdinand Marcos et de SUHARTO despotes dont les familles respectives organisaient la corruption à l’échelle industrielle et qui finirent tous chassés par la rue. C’est le Nec plus ultra de la patrimonialisation au sommet de l’Etat. Ils resteront dans l’histoire. Pour ça aussi ; ou surtout.

Le deuxième enseignement est qu’il ne suffit pas de jouir de l’onction du peuple et de la légitimité du suffrage universel pour faire un bon président. Nombreux sont ceux qui ont accédé au pouvoir par la voie des urnes, perçus alors comme des sauveurs et qui sont partis à la sauvette, comme des voleurs pour n’avoir pas su trouver un bon équilibre entre fermeté et souplesse.

D’abord Pascal LISSOUBA du Congo. Arrivé au pouvoir par la voie des urnes en 1992 cet universitaire, s’est révélé un piètre président qui, non content de ses choix économiques désastreux (contrat pétrolier léonin avec l’américain OXY) va plonger son pays dans une très meurtrière guerre civile. On se souvient tous des milices « cocoyes » qu’il avait dressées contre les « Cobras » de son prédécesseur Denis Sassou NGUESSO, le tout avec l’arbitrage des Ninjas de Bernard COLELAS. Il quittera le pouvoir chassé par des « Cobras » venimeux appuyés par les angolais.

Il y eut ensuite, Ange Félix PATASSE de la Centrafrique, arrivé lui aussi par la voie des urnes. Plutôt que de discuter avec ses adversaires politiques, il préféra les arguments de la force en allant chercher « son fils » Jean Pierre Bemba de la République Démocratique du Congo -il est aujourd’hui arrêté à la demande du tribunal pénal international qui le suspecte de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, pour viols, tortures et pillages commis en République centrafricaine en 2002 et 2003. Chassé du pouvoir par le Général BOZIZE alors qu’il participait à un sommet au Niger, il erra plusieurs jours à la recherche d’un refuge qui lui fut accordé pour quelques heures au Cameroun. Aux hommes venus lui demander de se préparer à chercher refuge ailleurs dans les quarante huit heures il aurait eu cet éclair de génie : « Ce qui m'est arrivé peut arriver à d'autres ; votre président en a-t-il conscience ? » Ils auraient pu lui répondre « Que n’y avez-vous pensé plus tôt ».

Il y eut enfin Mahamane Ousmane (décidément ce Niger que Sidi ould Cheikh Abdallahi connaît si bien… !) porté au pouvoir en mars 1993 par une coalition de partis regroupés sous le sigle de l’AFC, Alliance des Forces du Changement au terme d’élections saluées par son principal challenger le Colonel Tandja Mamadou. Sitôt installé, le Président se distingua par son autoritarisme au point de désorienter ceux qui l’ont porté au pouvoir (sic !) et de pousser vers l’opposition le PNDS-Taraya. L’opposition devient alors majoritaire et fait voter une motion de censure (vous avez dit similitude ?). Dés le lendemain, le Président Mahamane OUSMANE dissout l’assemblée nationale comme l’y autorise la constitution. Les nouvelles élections confortent l’opposition et imposent la cohabitation que le Président essaie de contourner en désignant de son propre chef un Premier ministre sans l’adhésion de la majorité parlementaire. Nouvelle motion de censure avant même la composition du gouvernement de Amadou Aboubacar CISSE. Le Président se résout alors à nommer, contraint et forcé, le candidat unique de la majorité parlementaire Hama AMADOU. Mais il ne s’avoue pas vaincu et prolonge le bras de fer en se donnant en spectacle : refus de donner la parole à des ministres en conseil, doubles nominations à tous les niveaux de l’Etat (un par le Président et un par le premier ministre…)[3]. La suite ? Ibrahim Baré Mainassara met fin à ce spectacle déshonorant par un coup d’Etat qualifié de populaire et salué presque par tous (y compris par le démocrate, républicain que je suis).

Moralité : Gouverner un pays c’est comme tenir un lion en laisse. Il faut s’employer à ne pas trop tirer sur la corde tout en veillant à ne pas la laisser trop traîner. Ce rappel doit servir de leçon à ceux « qui ont les yeux entre le nez et le front et qui regardent droit devant eux ». Qu’on se le tienne pour dit.

Abdoulaye DIAGANA

France

abdouldiagana@yahoo.fr

www.souslatente.blogspot.com



[1] FOCCART parle, Entretiens avec Philippe GAILLARD. FAYARD/JEUNE AFRIQUE. Paris 1997 Tome II p134

[2] Jacques BAULIN, 15 avril 1974, le putsch, réalités et exégèses. Juin 2008. www.tamtaminfo.com

Au sujet des biens acquis par l’épouse du président DIORI, Baulin ajoute qu’elle a dû recourir à l’emprunt « pour construire d’une part et aménager « le jardin » d’autre part ». Baulin opcit.

[3] Pour approfondir ce sujet lire « CONFLIT AUTOUR DES REGLES NORMATIVES DE LA COHABITATION AU NIGER : ELEMENTS D'ANALYSE JURIDIQUE D'UNE CRISE POLITIQUE (1995-1996), du Doyen AMADOU TANKOANO http://www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol2n2/article4.html