La désignation de Yahya Ould Waghf et la composition de son gouvernement constituent un tournant important dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie. Pour s’en rendre compte il suffit de se remémorer la fièvre qui s’était emparée du pays dès la chute de Mouawiyya Ould Sid’Ahmed Taya et qui n’a faibli tout le long de la Transition. L’intensité de cette fièvre est à la mesure des espoirs placés par les populations mauritaniennes dans la nouvelle conduite des affaires du pays qui promettait de « rompre avec les pratiques du passé ». Qu’englobent justement les pratiques du passé ?
Au plan politique, il s’agit d’abord d’une forme de gestion qui se caractérise par la prégnance d’un appareil répressif d’une efficacité redoutable. Les libertés individuelles sont mises entre parenthèses à coup de délations et d’atteintes à l’intégrité physique qui sont les lots quotidiens des activistes qui ne sont pas dans le camp du pouvoir. Cette situation changera légèrement dans sa forme avec l’avènement du pluralisme démocratique et l’organisation d’élections à partir de 1992. Ceux qui n’appartiennent pas au parti au pouvoir, le Parti Républicain Démocratique et Sociale (véritable parti-Etat) sont victimes d’ostracisme tant la perspective de faire carrière en dehors de cet Etat dans l’Etat paraissait illusoire. Quand des élections sont organisées c’était toujours dans des conditions qui ne pouvaient déboucher que sur de légitimes contestations (manipulations de scrutins, achats de conscience,
bourrage des urnes qui fera entrer dans l’histoire Kobeni qui passe de 400 habitants à 40000 qui votent tous pour le président sortant…).
En outre, la famille du chef de l’Etat est accusée de s’être emparée de pans entiers des affaires publiques au bénéfice d’un clan et d’intérêts privés.
Au plan économique, les deniers de l’Etat étaient dilapidés par une minorité de dignitaires qui n’ont jamais été inquiétés dans leurs besognes. L’inflation connaissait des sommets à cause d’une trop grande liberté accordée à des commerçants qui pouvaient récupérer ainsi ce qu’ils avaient investi dans les campagnes électorales du parti-Etat.
Toutes ces raisons expliquent le soulagement exprimé par les populations et la classe politique dans son ensemble y compris au sein même du puissant parti-Etat dont certains membres reconnaîtront au cours des journées de réflexions tenues du 16 au 20 septembre 2005, les graves dérives qui ont émaillé l’exercice du pouvoir du temps où ils étaient aux affaires. C’est dire que la désaffection était à son comble et il n’y a guère que quelques voix (dont celles de Boidiel Ould Houmeid et, il y a peu, Yahya Ould Waghef) pour se féliciter d’avoir servi un régime qu’ils ne renient pas.
Ces pratiques ont été constamment stigmatisées tout le long de la transition et pendant la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle d’avril 2007. Le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’est illustré en usant en toutes occasions d’un slogan qui fit florès : Non aux Roumouz el fassad , au point que la paternité lui en est attribuée. La campagne du candidat s’est ainsi structurée autour du principe que les méthodes qui ont prévalu sous Ould Taya tout comme les hommes qui en sont les symboles seront bannis sous son magistère, en évitant soigneusement cependant de confier à la justice l’ouverture de dossiers au sujet de certains écarts, suivant en cela le CMJD. La règle sera appliquée sous le premier gouvernement d’après-transition dirigé par le premier ministre Zein Ould ZEIDANE.
Cependant, sous prétexte de constituer un gouvernement politique, les mauritaniens assistent au retour des caciques de l’ancien régime, celui-là même que tous ont décrié y compris et surtout le président Sidi Ould Cheikh Abdallah. Par la force du symbole que constitue l’installation à des postes stratégiques des principaux collaborateurs de Ould Taya, ce nouveau gouvernement est le départ d’une nouvelle ère dans l’histoire du pays : La Restauration. En effet Boidiel Ould Houmeid, connu pour avoir été plusieurs fois ministre sous Ould Taya dont il continue de chanter les louanges sans jamais se risquer au moindre regard critique comme y invitaient certains de ses anciens amis du PRDS (qui depuis s’est rebaptisé PRDR) est devenu ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République par la volonté de Ould Cheikh Abdallah, l’homme qui fustigeait naguère les symboles de la gabegie. De son côté, Cheikh El Avia Ould
Mouhamed Khouna, maintes fois ministres (pêches, affaires étrangères, premier ministre, secrétaire général de la présidence) sous Ould Taya revient aux affaires étrangères. On se souvient qu’il avait été épinglé par un rapport très accablant sur sa gestion de la SMCP. La défaite aux dernières législatives de ces deux symboles du régime Taya n’est pas anodine et donne une idée de leur popularité et de la confiance dont ils peuvent se prévaloir auprès des mauritaniens.
Ould Taya doit boire du petit lait et rêver sérieusement d’un retour triomphal au pays. En effet sur la liste figurent d’autres soutiens comme Cheyakh ould Ely, autre baron du régime de Ould Taya, devenu Directeur de Cabinet du Président de la République Sidi Ould Cheikh Abdallah, Sidney Sokhna, puissant conseiller, ministre, ambassadeur sous Ould Taya, aujourd’hui ministre chargé des relations avec le parlement, Kane Moustapha, ministre sous Ould Taya, aujourd’hui ministre du pétrole… Les tombeurs de Ould Taya et tous ceux qui avaient pensé s’être définitivement débarrassés de lui peuvent se faire quelques soucis : le dictateur n’est pas –encore ?- aux affaires mais ses hommes sont de retour et de fort belle manière.
Pour quelqu’un qui s’était engagé à ne pas remettre en selle les Roumouz EL Vassad, Sidi Ould Chekh Abdallahi a bien mal engagé son affaire. Le pacte sur lequel il s’est fait élire vole en éclat dès la deuxième année de son mandat, sans que l’on puisse dire ce qui a bien pu motiver ce spectaculaire revirement. Les militaires sont entrés dans l’Histoire et ont permis le rêve en renvoyant Taya et ses méthodes, Sidi sème le trouble, le doute et la confusion en leur déroulant le tapis rouge et en restaurant un système décrié par la quasi-totalité des mauritaniens. La dernière étape du processus serait-elle le retour et la réhabilitation du dictateur déchu ? De leur côté les frondeurs peuvent-ils compromettre les acquis démocratiques en franchissant le Rubicon ?
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